Début juin...
C'est en poussant une brouette, remplie non pas de l'essentiel mais de ce qui est tombé sous la main, que René à rejoint Saint-Lô quittant Cherbourg quelques jours plus tôt... Et ce n'était pas une bonne idée.
Papa à 17 ans, apprenti chaudronnier il travaille sur le port, sa soeur parle couramment anglais et elle écoute radio Londres dans le grenier... Ernest mon grand-père est originaire de Saint-Lô ça discute, il y a des rumeurs, ça tergiverse... "Allez, on s'en va" chaque fin de semaine ils quittent le port militaire, cible potentielle, pour gagner l'abri du bocage normand un peu plus loin à l'intérieur des terres... ils sont des centaines à faire ça, eux il ont choisi une ferme du côté de Valognes, un bon 20 kilomètres quand même où une famille les accueille contre le partage des travaux faits en commun.
Cette fois Ernest qui a fait Verdun sent quelque chose et c'est lui qui décide crédiou ! René mon père est ravi, on va jusqu'à Saint-Lô ! Papa à 17 ans c'est lui qui sac à dos pousse les biens de la famille sur une brouette, carrèment l'aventure qui va lui faire oublier les bons de rationnement et la réquisition par les Allemands des vélos de la famille.
Ils arrivent heureux et fatigués dans le centre ville de Saint-Lô chez des cousins dans la journée du 5 juin et tout va très bien... sauf qu'il y a de plus en plus d'avions dans le ciel, des couvertures d'avions un ciel d'acier. Le lendemain de leur arrivée un roulement de tonnerre au loin, assez loin mais en continu... les hommes discutent, ça tergiverse... "allez, on s'en va dormir en dehors de la ville" les femmes râlent mais ils se réfugient à quelques kilomètres dans la campagne, les jeunes creusent une tranchée comme ça, presque pour passer le temps... bonne pioche, ils vont vivre une nuit d'horreur Saint-Lô est pilonnée par l'US air force, ce n'est qu'un tapis de bombes toute la nuit, la petite ville n'existe plus, détruite à 90 % la famille s'en sort sans une égratignure et ils apprennent "qu'ils" ont débarqué.
Ernest, René sa mère et sa soeur vont parcourir des dizaines de kilomètres toujours à pied, ça dure plusieurs semaines, bien entendu cherchant à éviter les zones combat... ils choisissent la côte ouest du Cotentin re-bonne pioche et de ce fait rentrent assez facilement à leur domicile.
Chaque 6 juin, autant que je me souvienne, Papa m'a raconté son épopée, absolument rien d'héroique il a simplement fui, c'est occupé de sa famille dont son père gravement malade des suites de dégats causés par l'Ypérite.
Ensuite il y a eu la fascination du jeune mec de 17 ans découvrant les Américains, la formidable impression de puissance rationnelle des Américains et puis les à-côtés le corned-beef, les chewin-gum et le Coca, mais aussi les armes massives par centaines de tonnes qui débarquaient sur les docks ou René travaillait à nouveau, c'est sûr c'était la fin pour les boches !
Chaque année j'avais le droit à un nouveau détail à une anecdote, un souvenir qui me scotchait totalement... "tu vois fiston, à cette heure là dans la nuit du 7 avec Gérard on s'est approchés de la prison... on a rien pu faire pour eux" et puis des micro détails qu'on ne lit pas dans les manuels d'histoire.
Papa avait 17 ans, sur la route poussant sa brouette il était heureux responsable libre... beau gosse, il croise une ferme du côté de Carteret et une jeune fille lui propose du cidre... je ne sais rien de plus sinon que Papa s'est engagé pour la durée de la guerre dans la marine, sur un bateau anglais équipage mixe franco/britannique la bataille de Dunkerque et puis du cool entre Dakar et Marseille... fin 45, terminé l'armée n'est pas pour lui... seulement, en tenue de marin il se rend du côté de Carteret retrouve la jeune fille au cidre et 11 ans plus tard je suis né, moi qui t'écris ces lignes et à chaque fois le début juin m'émeut profondément.